La recomposition des mondes – Alessandro Pignocchi – Ed. Seuil/Anthropocène – Postface Alain Damasio

En librairie depuis le 18 avril 2019 – Copyright A. Pignocchi/Seuil

Aujourd’hui c’est Notre-Dame-de-Paris qui retient toute l’attention, avant-hier c’était Notre-Dame-des-Landes, que les zadistes occupaient pour empêcher la construction d’un aéroport. En janvier 2018, le projet est abandonné. Pour ces femmes et ces hommes, installés sur le site depuis près de dix ans, va dès lors se jouer la pérennisation d’un certain mode de vie, d’une agriculture écologique, de la biodiversité, que d’aucuns estiment toujours menacée.

C’était hier et c’est aussi demain.

Avril 2018. Sur la première planche de la BD, ceux qui ont pu demeurer sur le site font face aux forces de l’ordre, arrivées en nombre au petit matin pour les déloger et détruire un maximum de lieux de vie. Le narrateur, Alessandro Pignocchi, ancien chercheur en sciences cognitives et philosophie – doublé d’un subtil aquarelliste – est là en observateur. Il va découvrir la violence répressive et la solidarité à toute épreuve de ceux qui luttent pour consolider et développer les projets mis en place au fil du temps. Ils attendent la répartition des terres…

La BD est dense, éloquente. On découvre la vie sur la Zad, avec ses moments paroxystiques et son esprit communard. La diversité du bocage, constitué de jardins tout mignons et de petites cabanes qui flottent sur une mer d’aubépine, s’étale sous nos yeux. La faune et la flore y ont leur mot à dire. « Ce n’est pas une nature à l’occidentale, mais un paysage à contempler, un petit objet précieux à protéger (…) un ensemble d’êtres humains et non-humains avec lesquels nouer toutes sortes de relations » se plaît à écrire Alessandro Pignocchi. Et de confier : « Il suffit de quelques heures dans un potager ou sur un chantier collectif pour se sentir happé puis dissous dans le bouillon de la Zad ».

Mais tout n’est pas aussi bucolique et la réalité a tôt fait de s’imposer.

Des habitations tombent sous l’effet des tractopelles, d’autres résistent. Face au gaz lacrymogène et aux grenades assourdissantes, les zadistes répliquent par des jets de pierres, « d’oeufs de peinture » et de cocktails Molotov. Les mythiques Vrais Rouges tiennent le choc, les barricades détruites sur la route des Fosses Noires sont reconstruites. À la Rolandière, les alertes sont suivies d’accalmies ; les habitants se retrouvent alors pour des soirées enflammées, le temps de souffler un peu et d’oublier les menaces extérieures. Car la Zad, c’est un état d’esprit qui recompose en permanence les liens que ses occupants ont tissé entre eux, mais aussi avec la nature, les plantes et le territoire tout entier.

La richesse de l’œuvre tient à ses dialogues ciselés, à sa dialectique fluide… et à son humour : le CRS qui ne sait plus où il en est et qui se retrouve sur la canapé du psy en est l’une des illustrations.

Le tour de la question n’est pas fait pour autant, reste à savoir ce qui se trame exactement sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes

Anne Calmat

103 p. 15 €