La Truie, le Juge et l’Avocat – Laurent Galandon – Damien Vidal – Ed. Delcourt

Depuis le 19 avril – 112 p., 17,50 € – Visuels & entretien © Ed. Delcourt

Sortes d’exutoires pour une population frappée par le destin, des jugements d’animaux étaient pratiqués au Moyen Âge qui poussaient à la barre, porcs, truie, vaches, lesquels finissaient le plus souvent au bûcher.

Les auteurs de la BD se saisissent du phénomène pour nous offrir une fable plus proche de nos préoccupations contemporaines qu’il n’y paraît. Ici, les protagonistes sont une brave truie, un sinistre juge et un avocat miséreux. Accusée d’avoir provoqué la mort d’un cavalier, une truie est conduite devant le tribunal : elle encourt la peine capitale. Le juge, un homme puissant qui n’a que mépris pour les êtres qu’il juge inférieurs, animaux, porchers ou même seulement femmes, fût-ce sa propre épouse, se trouve confronté contre toute attente à un avocat de talent qui défend avec ferveur la cause du malheureux animal…

Entretien avec Laurent Galandon et Damien Vidal.

Grégoire Seguin (délégué éditorial Delcourt)Pourquoi nous raconter aujourd’hui le procès d’un animal au Moyen-Âge ?

Laurent GalandonÀ cette époque les animaux peuvent être traduits devant un tribunal parce qu’ils sont considérés comme responsable de leurs actes, dans la mesure où, comme tous les êtres vivants, ils possèdent une âme. S’ils paraissent bien étranges aujourd’hui, ces procès étaient alors courants et conduisaient souvent à l’exécution de l’accusé. Appartenir à l’espèce animale n’était pas un critère pertinent pour décider de la manière dont on doit le traiter. Aussi ces procès étaient-il l’avant-garde de l’antispécisme, une notion somme toute très contemporaine ! Bien évidemment, derrière l’expression-même de la bonne justice, ils avaient alors surtout une valeur d’exemple pour les autres bêtes domestiques – croyait-on – mais surtout pour les hommes. En effet, ces tribunaux ne faisaient que renvoyer à une dichotomie universelle du fort contre le faible ; du dominant et du dominé. Aujourd’hui encore, le petit délinquant n’a pas les mêmes atouts que le voyou en col blanc pour se défendre. L’animal – domestique – reste un éternel dominé comme le sont le pauvre, le démuni ou les « minorités », sujets aux décisions arbitraires et à la maltraitance des hommes de pouvoir et de religion.

Damien Vidal On imagine que les jugements d’animaux constituent une pratique tirée d’un Moyen Âge obscur et reculé. Pourtant, les exemples de condamnations d’animaux ne sont pas toujours aussi lointains. On connaît l’histoire de l’éléphant pendu, à Erwin, en 1916. Plus récemment (2008), le tribunal de Bitola (Macédoine) a condamné un ours pour avoir volé du miel dans les ruches d’un apiculteur. Ces exemples sont certes anecdotiques et il ne s’agit pas de considérer les procès d’animaux comme faisant partie de notre temps. Ce qui reste très actuel, c’est la maltraitance animale. Des abattoirs aux laboratoires, l’actualité ne manque pas de faits qui rappellent de quelles manières les animaux sont martyrisés. Le récit que nous proposons constitue un miroir certes déformant, mais nous pouvons malgré tout nous reconnaître. Au-delà des procès d’animaux, le vrai sujet de ce livre est celui de la bêtise humaine : c’est un sujet inépuisable et bien contemporain.

G.S. Votre album offre une galerie de personnages plus truculents les uns que les autres. À qui va votre préférence ?

Laurent GalandonSi l’Avocat semble être le personnage principal, le développement dialogué de l’album a porté ma préférence vers le Porcher (aucun des principaux protagonistes n’a de prénom au profit de sa fonction ou de sa nature). En effet le Porcher est profondément naïf (à ne pas confondre avec son apparente bêtise ; l’une de ses dernières répliques nous prouve le contraire). Cette naïveté le rapproche de son animal, la Truie. Comme elle, il est dépassé par une situation ubuesque. Son affection pour son ongulé force l’admiration et le respect tant elle est inconditionnelle et dénuée d’à priori. Finalement il est l’homme le plus animal de cette histoire. Et mon cœur va toujours vers les plus faibles.

Damien Vidal En tant que dessinateur, je me suis surpris à aimer représenter les animaux. Ils font partie de ces personnages que j’ai eu le plaisir de retrouver sous mon pinceau (la corneille, le rat, la truie). Si la question concerne les humains, ma préférence va aussi au Porcher C’est également une affaire de dessin. Dans ce livre, je me suis amusé à varier les registres graphiques : plutôt réalistes pour certains personnages, franchement « gros nez » pour d’autres. Le Porcher fait partie de ceux-là et je trouvais assez drôle de le dessiner. C’est aussi le candide de l’histoire. Il ne comprend pas toujours le monde imbécile dans lequel il vit. En ce sens, il est plutôt attachant.

G.S. Quel message souhaitez-vous communiquer au lecteur à travers ce récit ?

Laurent Galandon – La Truie, le Juge et L’avocat est construit autour d’un procès atypique. Or, durant une telle instance, il est nécessairement question de justice et son pendant d’injustice (ou inversement). Ce sont-là finalement les deux faces de toute histoire, voire de toutes mes histoires : un personnage confronté à une situation qui le contraint à agir pour se dédouaner de l’une ou pour obtenir l’autre. Donc ici, dans ce conte sombre et drôle, je continue à suivre un même fil : dans tout combat, même quand on le perd, il y a une petite victoire cachée ou un retournement possible.

Damien VidalIl y a une morale de l’histoire et c’est la corneille qui l’énonce à la fin du récit. Je ne dis rien de plus pour ne pas spoiler.