» La première chose que je peux vous dire c’est qu’on habitait au sixième à pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu’elle portait sur elle et seulement deux jambes, c’était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu’elle ne se plaignait pas d’autre part, car elle était également juive. Sa santé n’était pas bonne non plus et je peux vous dire aussi dès le début que c’était une femme qui aurait mérité un ascenseur. «
La vie devant soi de Romain Gary – Texte intégral, illustré par Manuele Fior – Ed. Futuropolis – En librairie le 16 novembre 2017.
Momo, le narrateur, a été recueilli par Madame Rosa, une vieille prostituée juive qui héberge, contre rémunération, des enfants plus ou moins abandonnés.
Le roman, signé à l’origine Emile Ajar mais écrit par Romain Gary, décrit la vie quotidienne dans ce quartier multiculturel qu’est le Belleville de l’après-guerre, et la détresse du jeune garçon en quête d’une sécurité affective.
Momo va tout d’abord s’attacher à Super, un caniche qu’il finira par vendre à une ”bourgeoise” afin de lui assurer la vie qu’il aurait voulue pour lui-même.
Il va ensuite s’attacher à un parapluie prénommé Arthur et à toutes sortes de personnages hauts en couleurs : Madame Lola, un travesti sénégalais ex-champion de boxe qui tapine dans le Bois de Boulogne ; un médecin ; un vieil Arabe, Hamil, qui dira de l’enfant » qu’il est doué pour l’inexprimable « .
Mais c’est surtout l’histoire d’amour entre Rosa et Momo qui est au coeur du roman. Est-ce qu’on peut vivre sans amour ? demande-t-il un jour à Monsieur Hamil (p. 9). Oui et non… Question pour laquelle il semble n’y avoir pas de réponse. À la fin du récit, l’enfant, devenu adolescent, reformulera sa question : Est-ce qu’on peut vivre sans quelqu’un à aimer ? (p. 213)
Rosa incarne ici les violences subies par les juifs durant la seconde guerre mondiale. Elle incarne aussi la misère de l’immigration, qu’elle soit ashkénaze ou non.
Le moment venu, Momo, devenu adolescent, décidera de lui épargner l’hôpital et l’aidera à se cacher dans ce que Madame Rosa appelle son « trou juif ».
Il restera à ses côtés jusqu’à ce qu’elle s’éteigne, et – dans une sorte de déni de la réalité – même longtemps après.
Superbe roman. Superbes illustrations de Manuele Fior.
On se dit que l’amour qui unit ces deux êtres est presque aussi fort que celui de Roman Gary pour sa mère, et que les soins post-mortem que le garçon prodigue à la défunte ressemblent à un dernier hommage de l’auteur à celle qu’il n’a pu assister à l’heure ultime.
Anne Calmat
232 p., 26 €
À noter que cette fin d’année verra l’œuvre de Romain Gary à l’honneur, avec une adaptation cinématographique par Eric Barbier de La promesse de l’aube, précédée de la réédition de l’œuvre aux éditions Futuropolis-Gallimard.
La Promesse de l’aube de Romain Gary – Texte intégral illustré par Joann Sfar – Ed. Futuropolis-Gallimard. En librairie depuis le 2 novembre 2017
Avec l’Amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. (p. 61)
Publié en 1960, le texte couvre les trente premières années de la vie de Romain Gary (1914-1980).
L’écrivain y retrace son enfance à Vilnius (Lituanie), puis à Varsovie, puis en France à partir de 1927.
Peu après sa naissance, son père les abandonne, sa mère, Nina Kacew, et lui.
Romain Gary apprendra plus tard qu’il est mort d’angoisse devant la porte de la chambre à gaz.
Sa mère, Nina, vit en osmose avec lui. Elle rêve d’un destin hors du commun pour son fils: il sera danseur, mais danseur étoile, violoniste, mais virtuose… Elle va lui transmettre son goût du merveilleux, sans imaginer que la réalité dépassera largement la fiction de ses rêves: il sera aviateur des Forces françaises libres, diplomate, écrivain, journaliste cinéaste…

Si le roman s’arrête en 1944, c’est que Nina en est l’héroïne véritable. Revenu à Nice au terme d’une mission militaire, Gary découvrira que sa mère est morte trois ans et demi auparavant, après avoir chargé une amie de lui expédier régulièrement les quelque deux-cent-cinquante lettres qu’elle lui avait écrites les jours qui ont précédé son décès. » Elle savait bien que je ne pouvais tenir debout sans me sentir soutenu par elle et elle avait pris ses précautions.
En 1977, il fera dire à l’un des personnages de son roman, Clair de femme: » Et je ne vous dis pas que l’on ne peut vivre sans amour: on peut, et c’est même ce qu’il y a de si dégueulasse. »
536 p., 39 €
En complément : Le recueil d’entretiens de Romain Gary avec François Bondy, que l’on peut considérer comme une suite autobiographique de La Promesse de l’aube.
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