L’anniversaire de Kim Jong-Il

d’Aurélien Ducoudray (scénario) et Mélanie Allag (dessin et couleur) – Ed. Delcourt

Après La Faute Une vie en Corée du Nord*, qui démontrait que Pyongyang n’est qu’une vitrine à l’usage des étrangers, l’arbre qui cache une immense forêt d’individus minés par la hantise d’un crime de lèse-majesté à l’encontre des Pères-fondateurs de la Nation**, et contraints à bien des bassesses pour tenter de survivre, cet album place ses lecteurs à la hauteur du regard d’un enfant de huit ans.

Jun Sang vit dans une petite ville du nord de la Corée, il est le chef des jeunesses patriotiques de son quartier. En ce 16 février, il se réjouit de fêter  » son  » anniversaire, qui tombe le même jour que celui que l’on ne désigne pas autrement que sous l’appellation de Commandant invaincu à la volonté de ferEtoile brillante ou Dirigeant mondial du XXIe siècle : Kim Jong-Il. Jun Sang suit religieusement chaque directive du Père bien-aimé, à commencer par celle de haïr de toutes ses forces  » les fantoches du Sud et les sales chiens d’impérialistes américains « .

 » Quelle noblesse de vie, quelle beauté d’espoir, quelle splendeur de bonheur que de donner ma jeunesse à la patrie unique « , se dit-il.

Ses parents semblent plus réservés à l’égard de ce  régime, dans lequel la corruption, la délation et la paranoïa règnent en maîtres.

Son père travaille à la mine et sa mère, en usine. Ils sont, comme tous leurs semblables, payés avec un lance-pierre. Lorsque les rations de nourriture diminuent ou viennent à manquer, le gouvernement a tôt fait de stigmatiser l’éternel ennemi américain. 

Après l’école, les enfants doivent travailler pour la sacro-sainte Mère-Patrie : cultiver les champs, collecter les excréments humains destinés à servir d’engrais pour les cultures, ou encore, patrouiller à tour de rôle le soir dans l’école, afin, officiellement, de prévenir une éventuelle attaque américaine – en réalité, pour protéger le clapier du directeur. Et quand, par malheur, l’un d’entre-eux vient à bouger une oreille, il reçoit une volée de coups de bâtons et doit faire son auto-critique devant ses camarades. Les distractions se résument d’ailleurs au spectacle des exécutions publiques des voleurs.

Changement d’atmosphère à partir du second tiers de l’album : le rêve auquel Jun Sang avait tant cru est devenu cauchemar. Au trait rond et doux et aux couleurs vives de Mélanie Allag, qui évoquent ceux des livres pour enfants, succèdent la grisaille, lorsque la famille se retrouve dans le camp de concentration de Yodok.

La couleur ne reviendra que, lorsque huit ans plus tard Jun Sang décidera de son choix de vie à venir.

Un album puissant et passionnant, à (re)découvrir.

A. C.

142 p., 17.95 €

  • de Michaël Sztanke et Alexis ChabertEd. Delcourt, 2014.

 

  • Kim Jong-Il succède à son père, Kim Il-Sung, en 1994 et meurt en 2011. Depuis, c’est son fils, Kim Jong-un, qui dirige la Corée du Nord.