Le Travailleur de la nuit

 

Le Travailleur de la nuit de Matz (scénario) et Léonard Chemineau (dessin) – Ed. Rue de Sèvres, avril 2017

Une littérature abondante, des textes autobiographiques (v. plus bas), deux BD, nombre de vidéos et un long métrage ont été consacrés ces dernières années à ce « diable d’homme », dont on ne se lasse jamais de savourer les épisodes d’une vie mise au service de son idéal libertaire. Cet album marque une nouvelle occasion d’en revisiter les étapes principales et d’en savourer les aspects.

Il débute au palais de Justice d’Amiens, le 8 mars 1905.

Accusé Alexandre Marius Jacob découvrez-vous (…) et levez-vous ! Chapeau melon vissé sur la tête, l’oeil goguenard, ledit accusé fait aimablement remarquer au président du tribunal qu’il porte une toque et qu’il est assis. Le ton est donné. Il apparaît clairement que Jacob est ravi qu’une tribune lui soit offerte pour exposer à tous, et avant tout aux journalistes, sa philosophie de l’existence.

On suit ensuite l’itinéraire qui l’a mené jusqu’à ce procès pour cambriolages en réunion: son enfance à Marseille aux côtés d’une mère aimante et d’un père porté sur la boisson ; ses aventures maritimes (d’abord mousse, puis timonier, puis embarqué sur un faux baleinier-vrai bateau de pirates), qui se solderont par un premier procès pour désertion à l’âge de treize ans.  Des expériences qui m’ouvriront les yeux sur le monde tel qu’il est et non tel qu’on l’imagine, écrira-t-il plus tard. Viennent ensuite son immersion au sein des mouvements anarchistes marseillais, son adhésion indéfectible à leurs idéaux, puis ses démêlés avec la justice en raison de ses fréquentations et de son passé judiciaire. Harcelé, empêché de travailler, il choisit le mode de subsistance qui lui paraît le mieux adapté à ses convictions, avec cependant des règles intangibles: détrousser les exploiteurs et les parasites (ecclésiastiques, juges, militaires, rentiers…), épargner ceux qui travaillent (médecins, écrivains, professeurs, commerçants, même s’ils sont riches). Lui et quelques amis se mettent alors au travail. Horaires des Chemins de fer français et boîte à outils à la main, les rois de la pince-monseigneur et du passe-partout, que l’on ne tardera pas à surnommer « les Travailleurs de la nuit », n’ont plus qu’à dénicher leurs victimes, qui au fil du temps vont se compter par centaines. Qu’ils opèrent de jour ou de nuit, leurs exploits les conduiront à plusieurs reprises devant les tribunaux… Avec, pour le lecteur de l’album, la découverte de plusieurs épisodes savoureux. Comme par exemple celui où, fidèle à ses principes, Jacob part sans rien dérober lorsqu’il s’aperçoit qu’il s »est introduit dans le domicile de l’écrivain Pierre Loti. Il lui laisse même un billet de 20 francs en dédommagement du carreau qu’il a dû casser pour pénétrer chez lui. Ou encore ce morceau d’anthologie qui montre l’illégaliste et deux de ses complices, déguisés en agents de police, se faire remettre par le directeur du Mont-de-piété de Marseille la totalité du contenu de ses coffres.

La troisième partie de l’album se concentre sur ses dix-huit années de bagne, d’abord à Saint-Martin-de-Ré, puis à Cayenne, que l’on surnommait « la guillotine sèche », tant les conditions de vie y étaient dures, et la mort certaine.

On aurait aimé que l’auteur mette plus l’accent sur le rôle essentiel que médecin des lieux, le docteur Rousseau, a joué dès 1920 dans la vie du matricule 34777, mais c’est peu de choses comparé à tout ce qui nous attend à la lecture de ce « biopic » tout en bulles et en dessins.

On reste une fois encore fasciné par cet homme éminemment romanesque, ce feu follet resté libre et fidèle à la cause libertaire jusqu’à la fin de sa vie, qu’il a quittée quand bon lui a semblé, dans la célébration et le partage, pour rejoindre les deux femmes de sa vie. 

Anne Calmat

128 p., 18 €

À retrouver également dans la rubrique « On a aimé » :

 

Alexandre Jacob – Ed. Sarbacane, janv. 2016

160 p., 22,50 €

(1) Souvenirs d’un révolté & Pourquoi j’ai cambriolé (article cf. Germinal, 1905).

www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob

Alexandre Marius Jacob 1879-1954

 » Le droit de vie ne se mandie pas, il se prend. » A.M. Jacob