Les couleurs du ghetto – Aline Sax – Caryl Strzelecki – Ed. La Joie de lire

Depuis mars 2019 – Roman illustré traduit par Maurice Lomré © La Joie de lire

À partir de 13 ans.

À l’heure où un pourcentage non négligeable d’adolescents semble ne pas avoir pris la mesure de ce qu’a été la Shoah durant la Deuxième Guerre mondiale, ce texte sensible sera un complément précieux de leurs manuels d’histoire.

En septembre 1939, les Allemands envahissent la Pologne. Un an plus tard, lorsque débute le récit, il y a deux Varsovie : le ghetto juif et la partie aryenne de la ville. Le jeune Misja décrit tout d’abord le processus insidieux de la ségrégation à l’encontre de ceux dont l’Occupant veut se débarrasser : brimades, arrestations, exécutions. Jusqu’au jour où le ghetto se retrouve encerclé par un haut mur surmonté de tessons de verre et de barbelés, avec interdiction absolue de sortir, sauf pour aller travailler. Un ersatz de ville dans la ville. Les Juifs s’y entassent par centaines de milliers dans un dénuement absolu, la faim et les épidémies ne tardent pas à faire leur œuvre. « Certaines familles sortaient leurs morts et les déposaient sur le trottoir. Une carriole viendrait ensuite les emmener. »

Un soir, mu par la colère et la culpabilité de n’avoir pas résisté à ce qui était en train de se produire, le jeune Misja décide de quitter clandestinement le ghetto, à la recherche de nourriture pour les siens.

« J’avais trouvé le paradis : la boulangerie d’un copain de classe. (…) Je remplissais mes poches de gâteaux. Je suis sûr que l’homme (le boulanger) était au courant de mes visites… « 
© Caryl Strzelecki
« (…) jusqu’au jour où je l’ai attendue longtemps, très longtemps… » © Caryl Strzelecki

Cette sortie nocturne sera suivie de nombreuses autres.

Le

Le narrateur n’est pas le seul à transgresser les ordres, les Allemands le savent, aussi attendent-ils les fuyards au tournant, munis de lances-flammes. Ceux qui sont pris sur le fait sont exécutés ou font l’objet de représailles d’une cruauté inimaginable. «  Malgré cela, nous ne nous laissions pas faire. Le sang versé n’avait pas le temps de sécher que d’autres tentaient déjà leur chance. »

À l’été 1942, les déportations commencent sous un prétexte fallacieux. Misja sent intuitivement qu’il s’agit d’un aller sans retour. Le groupe de résistants qui s’est constitué au cœur même du ghetto et auquel il va s’intégrer lui en apportera la confirmation. Dès lors, il n’est plus seul, il se sent prêt à l’action.

« Nous les Juifs du ghetto, allions être transférés et vivre dans des petits villages russes. À nous le grand air et les vastes étendues (…) Je ne croyais pas à ces histoires. » © Caryl Strzelecki

L’insurrection est proche. Les armes sont fourbies sous l’œil avisé d’un déserteur allemand, les cocktails molotov sont prêts à être lancés à la face des bourreaux. Tous savent que leurs chances de survie sont plus que minces, mais là n’est pas la question : « Il existe deux façons de mourir : soit avec dignité en combattant, soit sans défense devant un peloton d’exécution ou dans une chambre à gaz. Laquelle choisissons-nous ? leur a demandé Mordechai, le chef du groupe. On est le 19 avril 1943.

La suite appartient à celles et ceux qui découvriront ce beau roman qui, à l’heure de la montée des populismes un peu partout en Europe, incite à lire le présent et le futur à la lueur du passé.

Anne Calmat

112 p., 14,50€

De la même auteure : La jeune fille et le soldat, La Joie de lire 2017.