
Visuels © P. Macola /Futuropolis. En librairie depuis le 7 janvier 2019 – 120 p., 20€

Lorsqu’il n’était encore qu’un enfant, Bruno rêvait d’avoir une mobylette. Pour cela, il s’était improvisé ramasseur de cadavres de rats, qu’il fallait à tout prix dissimuler aux regards des touristes. « Achève-les avant de les benner » lui avait dit Ennio, l’homme à tout faire du port de plaisance de cette petite ville du nord de l’Italie. Nous verrons plus loin que, sur le plan humain, Ennio valait encore moins que les nuisibles qu’il traquait.


Bruno a maintenant une quarantaine d’années, il vit dans une baraque sur pilotis, à proximité d’une étendue d’eau soumise aux caprices d’une crue possible du Pô. Il est gardien de péage. C’est presque un invisible. Il se protège. Mais parfois les souvenirs attaquent par surprise. Celui qu’il est devenu ne pourra s’empêcher de faire de nombreux allers-retours dans ce passé qu’il préfèrerait oublier.

Il rend souvent visite à la vieille Maria qui, sur la demande expresse de sa fille, doit bientôt quitter sa maison : trop de cambriolages, trop d’immigrés pour squatter les fermes abandonnées aux alentours, trop de vols de bateaux sur le port. Le souvenir de Renato, l’époux de Maria, reste très prégnant chez celui qui, hormis cette parenthèse enchantée, semble n’avoir jamais trouvé sa place dans la société.

Il y a aussi Anton, l’un de ces nombreux sans-papiers à la recherche du petit boulot qui leur permettra, peut-être, d’atteindre un jour le pays de leurs rêves. Il vient justement d’être embauché sur un chantier de construction. Horaires infernaux, salaire de misère. « Si tu te blesses, tu la fermes » a prévenu le contremaître. Anton tombe d’un échafaudage, mettant ainsi en péril l’économie souterraine du chantier. Il ne tarde pas à comprendre le sort qui lui est réservé et s’enfuit en emportant la caisse. Le hasard veut qu’il se réfugie dans la bicoque qu’occupe Bruno jusqu’au départ de Maria, qui en est la propriétaire…

Piero Macola signe une fois encore un récit intimiste qui parle des malaises de la société. L’un de ses précédents albums, Le Tirailleur (Futuropolis 2014), mettait l’accent sur l’injustice d’une vieillesse miséreuse et sur les tracasseries administratives infligées aux ex-tirailleurs étrangers, enrôlés de force pour défendre la France durant de la Seconde guerre mondiale. Celui-ci nous rappelle, entre autres choses, que vivre à la marge ne fait pas des individus des nuisibles. L’histoire de sonne juste, ses illustrations au pastel sont délicates. De nombreuses planches sans bulles, mais explicites, ajoutent encore à la profondeur du scénario.
Anne Calmat
