
de Monique et Michel Pinçon-Charlot – Dessin Etienne Lécroart – Ed. Seuil-Delcourt
Visuels © E. Lécroart/Seuil Delcourt
« Le fait que les puissants vivent toujours entre eux finit par créer un sentiment d’impunité qui favorise le goût immodéré du pouvoir et de l’argent et facilite la transgression. » M. P-C
« Les Ghettos du Gotha » (Seuil, 2007) pointait l’entre-soi des classes dominantes ; « Le Président des riches » (La Découverte, 2010) dénonçait l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkosy, fruit d’une connivence de plus en plus décomplexée entre pouvoir et monde des affaires ; « Les prédateurs au pouvoir – Main basse sur notre avenir » (Textuel, 2017) se livrait à une dénonciation en règle de la complicité des gouvernements avec le Dieu Argent, qui dicte sa loi aux hommes politiques de tous bords.


Les auteurs de la BD se concentrent cette fois sur la personne de l’ancien ministre du budget de François Hollande, Jérôme Cahuzac, dont le désormais célèbre « Les yeux dans les yeux, je n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger, ni maintenant, ni avant » marque d’un sceau particulier cette affaire pour le moins édifiante, mais somme toute terriblement banale.
Son issu renverra probablement le lecteur à notre ami Jean de La Fontaine qui concluait sa fable intitulée « Les animaux malades de la peste« , par « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir. »


La tragédie-comédie se joue ici en 6 actes, un épilogue et quelques tableaux qui montrent l’itinéraire, la galaxie et le dispositif Cahuzac… and C°.
« Assister aux différentes étapes de ce procès nous a permis d’observer la mobilisation des membres de l’oligarchie de l’argent, soucieux d’échapper à la solidarité nationale en refusant de payer leurs impôts à la hauteur de leurs fortunes », écrit la sociologue en préambule à ce qui suit.

À la faveur de ce procès-spectacle censé être exemplaire, les auteurs décrivent par le menu comment la classe au pouvoir, sans distinction de couleur politique, se mobilise, parfois pour des raisons qui tiennent à sa propre survie politique, pour défendre l’un des siens au mépris de toute éthique morale.



L’analyse des sociologues – tous deux ex chercheurs au CNRS – est fine, les dialogues, extrêmement denses et teintés d’un humour féroce, font mouche à tous les coups. La « scénographie » d’Etienne Lécroart témoigne une fois encore de sa vivifiante insolence et de son grand talent de caricaturiste. Il va sans dire que celle par qui le scandale est arrivé en prend autant pour son grade que le champion de la lutte contre l’évasion fiscale, et quantité d’autres personnages chez qui le cynisme le dispute souvent à la duplicité.
Mordant, jubilatoire, passionnant.

– Quel compte ?
À quand un album croquignolesque (ou croquignolet) consacré au « Président des très riches » ?
Anne Calmat
128 p., 18,95 €

Des trois mêmes auteurs :
Note de l’éditeur. Le 16 mars 2016, la réunion de présentation d’un projet de centre d’hébergement d’urgence dans le très chic et très riche 16e arrondissement de Paris tourne à l’émeute?! Pour protester contre cette intrusion de la réalité sociale du pays dans leur havre de paix et de prospérité, les grands bourgeois du 16e se comportent comme les « racailles inciviques et violentes » qu’ils sont si prompts à dénoncer.
Cette explosion de violence qui a choqué l’opinion publique est un véritable bijou sociologique à partir duquel les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, spécialistes de la grande richesse, tirent les fils et analysent les enjeux de cet événement : l’entre-soi des beaux quartiers, le sentiment de propriété des riverains du bois de Boulogne, le cynisme et la violence des riches, leur conception pour le moins très particulière de la solidarité. 91 p., 16 €