L’Esprit rouge (suivi de) Le Grand Combat

artaud1de Maximilien Le Roy (scénario) et Zéphyr (dessin) – Ed. Futuropolis, 160 p., 21,90 €

Janvier 1944, Antonin Artaud (1896-1948) est interné depuis un an à l’hôpital de Rodez, après plusieurs séjours dans différents établissements psychiatriques. Entre deux séances d’électro-chocs, il réécrit quelques chapitres des Tarahumaras (l’ouvrage sera publié l’année suivante). L’époque où les femmes se seraient damnées pour un regard de cet homme fiévreux, sombre et exalté, qui s’était illustré dans les films de Carl Dreyer, Abel Gance, etc., est bel et bien révolue. Il a quarante-huit ans et en paraît soixante-dix (photographie ci-dessus).

esprit_rouge_l_-2_webArtaud écrit et dessine sur les murs de sa chambre monacale des fresques enchevêtrées, sombres et morbides. Il se revoit à bord du paquebot qui l’emportait huit ans plus tôt vers le Mexique.

Il fait une escale à La Havane, où un « sorcier », fils d’esclaves, lui offre une petite  épée, à laquelle il fera allusion la même année dans Les Nouvelles révélations de l’Être.ESPRIT-ROUGE-2planche

Tu en auras plus besoin que moi à l’avenir, ne la perds jamais, lui dit l’homme.

page46image384Le voilà maintenant à Veracruz, puis à Mexico. Un journaliste lui propose de faire, pour le quotidien El Nacional, une série d’articles à teneur politique sur son ressenti du Mexique. Ce n’est pas la culture européenne que je suis venu chercher ici, mais la civilisation originelle mexicaine, lui précise Artaud, pour qui l’Europe est symbole de décadence.

Vous fantasmez lui répond son interlocuteur.

Artaud découvre en effet une tout autre réalité du pays : celle de la condition qui est faite au peuple indien, dont il loue la Culture et les immenses potentialités. Depuis la Révolution, l’Indien a cessé d’être un paria, mais c’est tout (…) On continue même à le prendre pour un sauvage (…) On veut l’élever à la notion occidentale de la culture…
Le théoricien du Théâtre de la cruauté est également invité à faire trois conférences à l’Université de Mexico, dont l’une s’intitulera Surréalisme et Révolution.

36887477xdESPRIT-ROUGE-1planchePuis Artaud se rend à cheval sur les terres de la sierra mexicaine, gorgées du sang des victimes de la Conquête, pour y rencontrer les Tarahumaras et atteindre au secret des principes qui régissent la vie et la mort. Le pays des Indiens Tarahumaras est plein de signes, de formes, d’effigies naturelles qui ne semblent point nées du hasard, comme si les dieux que l’on sent partout ici, avaient voulu signifier leurs pouvoirs dans ces étranges signatures, écrira-t-il plus tard.

Il y trouvera un substitut au laudanum, que son organisme réclame de plus en plus douloureusement. Le peyotl, drogue sacrée hallucinogène, deviendra un temps son nouveau paradis artificiel.

À Rodez, les phases d’écriture et de dessin sont ponctuées par les visites régulières du docteur Ferdière, adepte de l’art-thérapie. Le médecin l’a fait transférer dans son unité psychiatrique, où les conditions de détention sont meilleures et semblent marquer un coup d’arrêt dans la dégradation psychique de l’écrivain. Mais bien que le temps soit venu pour Artaud de recouvrer un semblant de liberté avant de mourir pour la seconde fois (à moins que ce ne soit pour la troisième), on pressent que la quête de vérité qui a irrigué toute son oeuvre, sera bientôt relayée par d’autres.

ESPRIT-ROUGE-650px

Les dessins couleurs ocre ou pourpre de Zéphir, souvent proches des arts primitifs, illustrent parfaitement le cheminement de cet être insurrectionnel, en lutte permanente avec les obsessions, les angoisses et le mal qui l’ont habité depuis son enfance.

Anne Calmat172full

 

 

Antonin Artaud, 1930

 

9782754810418À lire également : 

Le Grand Combat de Zéphyr – Ed. Futuropolis

Le vieux Noé passe ses journées à construire ce qu’il appelle sa  « cité en évolution« , à sculpter et à confier ses pensées aux arbres, aux ruisseaux et aux vents qui balaient la forêt de Fontainebleau. Il est presque devenu une légende locale et chacun le respecte. D’où vient-il ? De quoi vit-il ? Nul ne le sait.

mep_grand_combat_3_webLes gamins s’amusent parfois à le provoquer en dessinant une femme nue sur son «mur à paroles». Peine perdue, Noé s’extasie sur leur talent et les encourage à poursuivre dans cette voie. Pourtant, il sait aussi protéger les lieux des intrus qui s’apprêtent à troubler leur quiétude. À l’image de son héros, cette bande dessinée est économe en paroles, mais d’une créativité flamboyante. Chaque planche est une œuvre d’art. On y découvre des fresques à mi-chemin entre fauvisme et peintures rupestres, mais aussi des statues proches de l’art brut et de l’art africain.

A.C. (in Témoignage Chrétien, mars 2014)