
Manolis de Allain Glykos (scénario) et Antonin Dubuisson (dessin) – Ed. Cambourakis
» Les soldats turcs ont séparé les hommes et les femmes. Ils ne nous ont donné que quelques minutes pour faire nos baluchons. Nous marchions en colonnes sur les routes jonchées de cadavres. Quand j’ai embarqué avec ma grand-mère pour un voyage sans retour, mon père était sûrement déjà mort. Nul ne sait comment et nul ne sait ce qu’ils ont fait de son corps. La mer était rouge de sang. Dans la déroute, ma mère et mes frères ont pris un autre bateau… «
Voilà ce que mon père m’a souvent raconté. Une histoire si lointaine et si proche. Un récit qui, aujourd’hui encore, résonne de sa voix entrecoupée de larmes et de silences. Des images et des mots contre l’oubli. Allain Glykos
C’est à travers l’itinéraire du petit Manolis, chassé de son village de Vourla, dans la région de Smyrne (Izmir aujourd’hui), réfugié dans une famille d’accueil à Nauplie, retrouvant sa famille en Crète pour finalement émigrer en France, que ce roman graphique évoque l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire grecque du XXe siècle, connu sous le nom de « Grande catastrophe ». Il rejoint en ce sens le second roman graphique des deux auteurs (v. ci-après), publié dans le même temps aux éditions Cambourakis.
Rappel historique. Le conflit gréco-turc, qui fait suite à la première guerre mondiale, débouche à l’automne 1922 sur la défaite des troupes grecques face à l’armée conduite par Mustafa Kemal.
Les conséquences humaines de cet événement – massacre et expulsion des populations chrétiennes d’Anatolie – vont entre autres faire basculer le destin du père d’Allain Glykos. Cette mémoire douloureuse est au coeur de ce roman graphique, qui montre les souffrances endurées par les populations sans jamais s’y appesantir. Une chronologie et une carte complètent le récit et donnent les repères historiques essentiels.
La personnalité de Manolis, petit garçon courageux, généreux, avide de connaissances et désireux de découvrir le monde, illumine le récit. Au fil du livre, il perdra peu à peu sa naïveté initiale, écoutant les conversations des adultes qui rendent compte de la complexité de la situation.
192 p., 20 € – Visuels © Cambourakis

Gilets de sauvetage d’après le roman d’Allain Glykos (scénario) et Antonin Dubuisson (dessin) – Ed. Cambourakis
» Aucune armée de douaniers, de soldats, aussi puissante soit-elle, n’empêchera la faim d’aller chercher le pain là où il y en a, de venir vérifier si la réalité a quelque chose à voir avec le rêve. » Allain Glykos
Trois ans que le narrateur n’est pas allé en Grèce, le pays de son père, où il a séjourné pendant des années auparavant afin de retracer la trajectoire paternelle.
Il se réjouit d’y retourner pour un peu de vacances. Quelques semaines d’apaisement en perspective alors que Paris vient d’être touchée par les attentats de 2015. Lorsqu’il arrive sur l’île de Chio, tout semble propice au repos recherché. Rapidement cependant sa compagne et lui perçoivent les signes et les difficultés quotidiennes des habitants, victimes de la crise économique qui touche tout le pays.
Ils vont surtout être vite témoins de l’arrivée de migrants. Rattrapés par cette criante et cruelle actualité, ils ne peuvent se contenter d’un séjour touristique. Au fil de leurs visites, ils vont ainsi aller à la rencontre de ces gens qui ont fuit leur quotidien, leur terre natale, en quête d’un peu de paix.
Dès lors, cette bande dessinée donne voix aux migrants, une façon de restituer leur histoire, leurs parcours, comme autant d’échos à celui du père du narrateur qui avait dû quitter sa terre, chassé par les Turcs lors de la Grande catastrophe en 1922.
Dans la continuité du roman graphique Manolis, Gilets de sauvetage livre un témoignage empreint d’une grande humanité qui rend compte des prolongements et des rebondissements de l’Histoire.
160 p., 24 € – Visuels © Cambourakis
Les auteurs
Né en 1948, Allain Glykos vit et enseigne à Bordeaux. Romancier, il a publié une vingtaine de livres, dont plusieurs d’inspiration autobiographique, principalement publiés aux éditions de L’Escampette. Il est également l’auteur d’un film documentaire TV autour de la figure de son père.
Né en 1986, Antonin Dubuisson dessine depuis tout petit dans les marges des cahiers. Il est l’un des animateurs du fanzine bordelais Zymase. Ses premières bandes dessinées Tout est bien qui finit bien et les Aventures de Roger Pixel, ainsi que le carnet de voyage Karakolo (Prix de la presse du festival du Carnet de voyage de Clermont-Ferrand en 2011) ont paru aux éditions Croc en jambe. Manolis est son premier projet d’envergure.