Coup d’œil…
de Olivier Bras (texte) et Jorge Gonzàles (illustrations) – Ed. Futuropolis, 2015
On apprend beaucoup sur le Chili en lisant cette bande dessinée au titre paradoxal, qui nous promène à travers plusieurs époques et plusieurs lieux. Le fil conducteur de ce récit graphique au tons souvent sombres – les gris, le sépia, avec parfois quelques très explosions colorées -, c’est le regard du narrateur, fils d’un ingénieur des mines qui a quitté sa terre natale pour l’Afrique du Sud, avant qu’Allende ne parvienne au pouvoir.
Léo, petit garçon bien sage, qui va suivre au départ la voie tracée par son père, ne connait du pays de ses parents que le portrait d’Augusto Pinochet qu’ils avaient accroché dans leur séjour.
Cet album est le récit de sa lente découverte des événements qui ont secoué son pays, depuis l’entrée en politique de Salvador Allende, ses premières tentatives aux présidentielles de 58, la dictature de Pinochet, jusqu’à nos jours où la fracture est encore visible, les blessures encore vives.
La chronologie est éclatée, mais le lecteur ne devrait pas s’en trouver désorienté. Le livre s’ouvre sur une rencontre (dont on ne sait si elle a vraiment eu lieu) dans les brumes du nord du Chili. Le jeune Allende, alors sénateur, rend visite aux prisonniers politiques du centre d’incarcération de Pisagua et se heurte au veto de Pinochet, officier de garde qui prétend en vain l’empêcher d’entrer.
Première confrontation, qui en annonce d’autres, plus violentes.
On part donc de l’enfance des deux « chefs », de leurs relations avec leurs familles.
Le petit Augusto, enfant maladif et choyé, est destiné par sa mère à la carrière militaire. Il n’est pas très doué mais gravira cependant les échelons. Allende, lui, a une histoire familiale ancrée à gauche : son grand-père était une figure du parti radical, elle émerge nettement.
Courage chez Allende, qu’on voit se battre en duel pendant sa jeunesse avec un membre de l’assemblée, duel heureusement sans conséquence et personnalité, contraste avec la personnalité de Pinochet, beaucoup plus atone.On croit connaitre l’histoire de sa prise de pouvoir et l’horreur qui s’en suivit, mais ce récit graphique très richement documenté nous dévoile des événements et des enchaînements dont nous n’avions pas forcément connaissance.
Et c’est la découverte progressive de cette période d’épouvante que fut la dictature de Pinochet, que fait le narrateur, que rien ne prédisposait dans son histoire familiale à ce cheminement. La visite d’un cousin qui dépose subrepticement entre ses mains le dernier discours d’Allende à la Moneda, et plus tard, la rencontre de Français qui ont accueilli des réfugiés chiliens vont transformer son regard et éveiller sa conscience.
Les deux auteurs ont inséré des documents d’époque et des extraits de carnets d’Allende.
Les graphismes et les formats sont d’une grande diversité, et font de la lecture un voyage surprenant.
Les portraits sont mesurés, les parcours de chacun, bien définis, ainsi que leur environnement familial et social. Point de caricature ou d’emphase, mais la recherche d’une compréhension de ce qui était resté caché.
Danielle Trotzky
128 p., 20 €