Ô vous, frères humains

couve_d’après le livre d’Albert Cohen – Dessin Luz – Ed. Futuropolis, 136 p., 20 €

Marseille, 16 août 1905. Albert est un enfant heureux, innocent, aimant et voulant être aimé de tous. Il s’arrête devant l’échoppe d’un camelot qui vante les qualités d’un détachant domestique. Il se faufile alors au premier rang des badauds, émerveillé par le bagou du bonimenteur et fier à l’idée d’offrir à sa mère le « produit miracle ». C’est alors qu’il s’entend dire : Toi, tu es un sale youpin, hein ? (…) Je vois ça à ta gueule. Tu manges pas du cochon, hein ?  (…) Tu bouffes des louis d’or (…) Ton père est de la finance internationale, hein ? Tu viens manger le pain des Français, hein ? Messieurs dames, je vous présente un copain à Dreyfus, un petit youtre pur sang, garanti de la catégorie des sécateurs, raccourci là où il faut (…)  safe_imageo_vous_freres_humains-1_tel

Albert Cohen a maintenant soixante-dix-sept ans, il se souvient du jour fondateur de sa pensée et de son engagement, qu’a été celui de ses dix ans.

Ce n’est naturellement pas un hasard si Luz, dont les camarades sont morts sous le feu de la haine le 7 janvier 2015, s’est emparé du texte autobiographique de l’auteur de Belle du Seigneur, Le Livre de ma mèreMangeclous, etc.

Courant 2015, j’ai ressenti le besoin de relire Ô vous, frères humains. J’ai été encore puissamment frappé par le calvaire psychologique de ce petit garçon déambulant à la lisière de la folie, par le message testamentaire d’Albert Cohen, et le coeur serré, j’ai refermé le livre sur le triste constat que, décidément non, la terre entière n’avait toujours pas été traversée par cette oeuvre majeure, écrit-il en prélude à ses dessins.

On est effectivement dans un ailleurs de la BD, dans cet espace où déférence et affliction ont pris le pas sur la virtuosité graphique.  Cependant, la déchirure de cet enfant, relégué en quelques instants au rang de sous-homme, est ici traduite par des images particulièrement inspirées. Elles sont d’autant plus percutantes qu’aucune bulle ne vient parasiter les immondices verbaux qui, au détour de chaque rue, dans chaque instant de le vie quotidienne du jeune garçon, ne cessent et ne cesseront de le hanter.

Anne Calmato_vous_freres_humains-3_tel