Pereira prétend

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d’après le roman de Antonio Tabucchi. Texte et dessin Pierre-Henry Gomont – Ed. Sarbacane. En librairie le 7 septembre

La phrase-titre, qui reviendra comme un leitmotiv tout au long du roman que Tabucchi écrivit en 1994, intrigue. Celle qui accompagne la première planche de l’album ne fait que renforcer une impression de mise en accusation. Pereire prétend qu’il était bon catholique. Etait ? N’est plus ? Un accusé nécessairement présumé coupable si l’on tient compte du contexte historique du récit…P2

Nous sommes en 1938, dans le Portugal livré à Salazar et à ses sbires. Il y a ceux qui adhèrent aux thèses fascistes du dictateur, ceux qui les combattent et ceux qui préfèrent regarder ailleurs. Pereira appartient à la troisième catégorie. Nous l’accompagnons tout au long de son cheminement, plus existentiel que politique, vers une prise de conscience de sa responsabilité face à l’Histoire.

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C’est à la faveur de rencontres déterminantes (Francesco Rossi et Marta : deux opposants au régime, le docteur Cardoso, l’abbé Antonio…) que Pereira, chroniqueur littéraire vieillissant dans un journal catholique prétendument indépendant, englué dans ses souvenirs et ses regrets d’une vie qu’il n’a pas vécue, va faire surgir, presque à son insu, son « moi hégémonique », et devenir un être agissant.

Il traduisait Maupassant et Balzac pour les lecteurs du Lisboa, ses nouveaux amis vont lui proposer de louer Lorca et Maiakovski, considérés comme « sataniques » par le pouvoir en place. Il jugeait impubliables les billets nécrologiques anticipés qu’il avait commandés à « son fils de substitution », il lui rendra le plus bel hommage qui soit le moment venu.13781863_1375639565786083_4507435319216453122_n

Le roman de Antonio Tabucchi est superbe, essentiel. La BD de Pierre-Henry Gomont l’est tout autant. Tabucchi l’avait écrit au moment de l’arrivée imminente au pouvoir du très populiste Silvio Berlusconi, Gomont l’a adapté au moment où garder les yeux grands ouverts face aux menaces qui rôdent de toutes parts, est plus que jamais indispensable.

De nombreuses séquences d’une grande force émotionnelle (le meurtre de Francesco, la rencontre avec le docteur Cardoso…), servies par un trait simple et expressif, feront à coup sûr de cette BD, l’un temps forts de la rentrée.

Anne Calmat

160 p., 24 €

Du même auteur : Crématorium (Casterman, 2012), Rouge Karma (Sarbacane, 2014), Les nuits de Saturne (Sarbacane, 2015)

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