

- Extraits de Pour en finir et autres foirades.
du 4 au 23 janvier 2022 – Réservations 01 45 44 57 34 ou sur lucernaire.fr – Tarifs : de 10 € à 28 € – Le Lucernaire 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris M° Notre-Dame-des-Champs


Notes de mise en scène de Jacques Osinski
« J’ai (eu) envie* d’une promenade, d’inviter le spectateur à entrer par des chemins détournés dans le crâne du narrateur beckettien. Que se passe-t-il sous ce crâne ? L’image et Pour finir encore et autres foirades« , deux recueils publiés aux Editions de Minuit, des textes cachés, « non-abandonnés », « unabandoned works », pour reprendre la terminologie de S.E Gontarski, éditeur américain de ces courts textes, si courts qu’ils auraient pu disparaître ou ne connaître une vie qu’une fois transformés en romans ou pièces de théâtre. Mais Beckett a tenu à ce qu’ils voient le jour au travers d’une publication. Le grand public les connaît moins que Godot, Fin de partie ou La Dernière Bande mais peut-être sont-ils plus chers que d’autres aux aficionados de Beckett. J’ai (eu) envie d’aller à leur rencontre, de manière légère, presque ludique. Comme le séjour de Beckett (dans sa maison) à Ussy, leur rédaction s’étale sur plusieurs années.
- Le spectacle a été créé à l’Athénée-Louis Jouvet en mai 2021

L’image est une longue phrase de dix pages, sans aucune virgule, comme un souffle. Elle raconte la quête d’un souvenir. Elle fut publiée en 1988 mais écrite bien avant puisqu’on en retrouve les termes au début de Comment c’est, un roman qui date de 1961. Un soir et Au loin un oiseau datent des années 1960. Quatre textes. Dates éparses. Souvenirs épars. Un style qui évolue mais des thèmes qui reviennent, toujours la même recherche. Toujours un personnage en regarde un autre, une “tête” traversée de pensées observe un corps immobile. Toujours la naissance et la mort, traversées de touches de couleurs (le jaune d’Un soir, le blanc de Plafond), toujours la création et peut-être cette interrogation : Qu’est-ce qui fait que, nous les humains, éprouvons le besoin de dire et non de vivre seulement ? « J’allume, j’éteins, honteux, je reste debout devant la fenêtre, je vais d’une fenêtre à l’autre, en m’appuyant sur les meubles. Un instant je vois le ciel, les différents ciels, puis ils se font visages, agonies, les différentes amours, bonheurs aussi, il y en a eu aussi, malheureusement. Moments d’une vie, de la mienne entre autres, mais oui, à la fin. » raconte le narrateur de l’une des « foirades » publiées dans le même recueil. Je crois que j’ai envie, avec Denis, de saisir ces « moments d’une vie », de regarder ces textes en allant « d’une fenêtre à l’autre », avec cette espèce d’intimité que nous confère le long compagnonnage que nous avons entamé avec Beckett depuis Cap au pire (2017). J’ai envie que le spectateur soit comme dans une maison, spectateur de ce qui se passe à l’intérieur du crâne beckettien. Ce qui est à l’œuvre dans ces textes, c’est, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Malebranche, philosophe du XVIIe siècle cité par Beckett dans L’Image, « la recherche de la vérité ». Malebranche se méfiait de l’imagination, cette « folle du logis » qui empêche de voir le vrai. Beckett aussi. Mais il ne peut s’empêcher de la laisser agir. Alors sans cesse il revient sur deux thèmes obsédants : tout d’abord, celui du « crâne », de la tête, tout à la fois espace mental, intérieur conscient de sa propre finitude, et lieu du théâtre même, crâne des vanités en peinture et cercueil qui scellera la fin. Puis, hors-champ, au-delà du lieu du théâtre, le thème de « l’image », celle qui s’échappe sans cesse et qu’on tente sans cesse de fixer, le souvenir d’un instant d’amour heureux, la quête du moment parfait, amoureux, tel ce couple se tenant par la main sur un champ de course dans L’image. Il s’agit de reconstituer l’instant fugace. Le faire revivre tout en sachant qu’il va s’échapper, tout en sachant l’inutilité des mots pour dire le vrai. C’est peut-être paradoxal, s’agissant de textes qui souvent parlent de la mort, mais j’ai envie de les aborder un peu comme des enfants qui jouent, qui jouent à mourir pour mieux revivre ensuite. On n’est pas encore mort tant qu’on peut parler de la mort et c’est bien vers la vie que j’ai envie d’aller.


Un plateau nu. Une Servante. Un comédien pour dire le texte. Pas besoin de plus. Denis Lavant me parlant de ses premières impressions de lecture songe aux haïkus japonais. Pour moi, ce spectacle sera comme un impromptu, un moment musical où il s’agit de saisir une beauté fugace, impromptu traversé par deux obsessions qui sont aussi, pour moi, celles du théâtre : la quête du moment parfait et le besoin d’arrêter le temps. »
Interprète de génie au cinéma comme à la scène, le comédien Denis Lavant nous parle de son rapport au corps et de la construction de son interprétation de personnages particulièrement désincarnés, comme chez Beckett.