
Après le succès triomphal du roman en trois parties de Virginie Despentes, voici sa version graphique.
Remettons les pendules à l’heure…
Vernon Subutex est un ancien disquaire qui, après avoir perdu son magasin, se voit expulsé de son appartement : l’ ami qui le dépannait financièrement vient de mourir d’une overdose.

« Avant d’y exploser, l’info bute dans sa tête comme un vieux diamant sur le sillon d’un vinyle rayé. Alex Bleach, ce pote percuté par le succès est mort. Une question bassement pragmatique taraude Vernon : qui va payer son loyer ? «
Sans le sou, mais ne se voyant pas pour autant finir dans la rue, Vernon commence par battre le rappel auprès d’anciennes relations susceptibles de l’héberger une nuit ou plus.

Commence alors un défilé de personnages passablement rock n’ roll surgis du passé, et qui ont tendance à y être restés. En effet, si tous se sont côtoyés deux décennies auparavant dans un monde où une forme d’insouciance régnait, aucun ne se retrouve dans une société où la précarité, la peur de l’autre et celle des attentats ont pris plusieurs longueurs d’avance sur la légèreté.

Cependant, si un certain nombre est prêt à revoir le détenteur d’enregistrements devenus cultes, peu acceptent de l‘héberger.

On voit défiler toutes sortes de figures plus folklos les unes que les autres : Alex Bleach, le chanteur disparu ; Sylvie, l’ex du chanteur – la musique est au cœur de l’ouvrage ; La Hyène, « androgyne juste ce qu’il faut » ; Xavier, « le connard de droite » qui a épousé une femme riche pour pouvoir satisfaire ses goûts de luxe…
Autant de rencontres et de styles de vie différents au travers lesquelles Vernon Subutex ne se retrouve plus. Son existence lui échappe alors, il glisse vers l’exclusion, vers une forme de « confinement extérieur ».

Qui est Vernon Subutex ? Une légende urbaine ? À moins qu’il ne soit tout simplement le symbole d’une comédie inhumaine qui se joue depuis plusieurs décades.

Un album magnétique, fruit d’une parfaite adéquation entre l’auteure et le dessinateur, entre l’écriture « à l’os » de Virginie Despentes et les illustrations tour à tour effusives et impressionnistes de Luz, entre la révolte de l’une et la colère de l’autre. Un très beau pavé de 304 pages… dans la mare. Vivement le T.2, prévu à l’automne 2021.

Anne Calmat

Fou de musique et de dessin, Luz s’impose rapidement comme une signature majeure de Charlie Hebdo. De cette période, il raconte les débuts (Indélébiles, 2018) et les suites de la conclusion tragique (Catharsis, 2015) dans des albums parus chez Futuropolis. Ô vous, frères humains (2016), Alive (2017) ou Hollywood menteur (2019) complèteront le portrait des mondes culturels puissants qu’il affectionne. En se plongeant dans l’univers littéraire et musical de Vernon Subutex, Luz réalise la convergence de ses passions… en bande dessinée.